OPERAT va-t-il être un remake du film Fistcarraldo ?
OPERAT va-t-il être un remake du film Fistcarraldo ?
Écrit par Éric BOUVIER, Secrétaire Général de l’API FIDJI, Paris le 7 février 2022.
Le contexte
Le décret tertiaire, renommé depuis le dispositif Eco-énergie tertiaire, publié en juillet 2019, a pour objectif de réaliser d’importantes économies d’énergie pour l’ensemble des bâtiments du secteur tertiaire.
L’objectif est maintenant connu de tous, soit se conformer à une consommation théorique optimale dont les niveaux sont petit à petit publiés officiellement, soit obtenir une réduction significative de la consommation de l’immeuble par rapport à une année de référence (le choix peut être fait par le propriétaire ou les locataires !). Le cadre général définit plusieurs objectifs suivant la trajectoire suivante :
● Pour 2030, tous les bâtiments de plus de 1.000m² devront avoir réduit leur consommation d’énergie de 40%. ● Puis de -50% d’ici 2040 ● Et enfin de -60% d’ici 2050. |
Objectif louable et pas aussi inatteignable que les chiffres peuvent le laisser supposer. En effet, les professionnels s’accordent déjà sur le fait que 20 à 30% des économies sont possibles, uniquement en optimisant les équipements actuels. Mais laissons ce débat aux spécialistes.
Revenons sur le flux incontournable des données, qui permet de suivre les consommations bâtiment par bâtiment. Car pour vérifier que les objectifs sont atteints, la DATA est indispensable. C’est l’ADEME qui a la responsabilité de développer une plateforme, nommée OPERAT, pour le recueil de ces données et de la mettre en ligne.
OPERAT
La plateforme numérique OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique, de la Rénovation et des Actions du tertiaire) gérée par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) doit permettre de collecter toutes les données de consommation énergétique des bâtiments concernés du secteur tertiaire.
Après plusieurs reports calendaires, les « opérateurs » ont l’obligation de déclarer sur OPERAT l’ensemble des bâtiments concernés avant le 30 septembre 2022, et d’y reporter les données de consommations pour les années 2020 et 2021. D’ici cette date, les opérateurs peuvent modifier à loisir et parfaire leur déclaration (mais le site n’est encore à ce jour que partiellement disponible).
À partir de septembre 2022, les maîtres d’ouvrage – propriétaire occupant, bailleurs comme locataires – devront déclarer annuellement la performance énergétique atteinte par leur patrimoine via la plateforme OPERAT.
Chaque année de 2022 à 2030, la plateforme OPERAT fournira une attestation avec une notation Éco Énergie Tertiaire qui va qualifier l’avancement dans la démarche de réduction des consommations d’énergie, au regard des résultats obtenus par rapport à l’objectif.
Le péché originel
Nous saluons cette démarche globale qui ne peut être qu’appréciée par tous les Data Analyst, informaticiens, Proptech, cabinets de conseil et autres experts digitaux, car elle ouvre un pan entier non exploré jusqu’à présent sur la collecte des données. Ce qui signifie pour eux de nouveaux projets de développements – donc des recrutements et/ou revenus complémentaires – pour le bénéfice collectif d’une moindre consommation énergétique. Notons, au passage, que cette démarche se combine parfaitement bien avec les labélisations ISR et autres projets du type Disclosure au niveau européen.
La question exacte qui nous est posée est la suivante : quelle est la consommation énergétique de nos immeubles et comment maitriser la courbe d’évolution de cette consommation ?
De façon globale les principales étapes sont connues :
1. Déclarer sur OPERAT ses bâtiments tertiaires de plus de 1.000 m2 2. Collecter et fiabiliser les données de consommation d’énergie 3. Adapter sa consommation aux variations d’occupation des bâtiments (télétravail) 4. Choisir son année de référence dès sept. 2022 et planifier sa stratégie à long terme (en prenant en compte la mutualisation des résultats : la sous-performance de certains bâtiments peut être compensée par la surperformance d’autres) 5. Identifier les actions et les dispositifs d’aide (dont Plan Relance) ainsi que prioriser les investissements sur les bâtiments 6. Produire un rapport sur l’évolution des consommations et les modulations possibles |
Pour ce qui est des données (collectées, fiabilisées, analysées), le péché originel est lié à la rédaction initiale du décret qui, si elle rend les propriétaires et les occupants solidaires envers cette obligation réglementaire, ne définit pas de hiérarchie entre eux, ni de responsabilisation précise pour chacune des étapes décrites ci-dessus.
Il est toujours possible de définir une responsabilité partagée pour une ou plusieurs étapes. Mais cela devient beaucoup plus aléatoire si certaines étapes du processus ne sont pas identifiées clairement avec un responsable ou un chef de file à leur tête.
La première étape : l’identification d’un bâtiment
Le bâtiment ou Entité Fonctionnelle Assujettie (EFA) au sens de la solution OPERAT, est théoriquement désigné par un identifiant unique, généré par OPERAT sur demande. C’est cet identifiant originel qui doit permettre tous les calculs et vérifications sur l’ensemble de la durée du projet – au minimum 30 ans. Afin que tout le monde rattache ses consommations à la bonne EFA, il est donc primordial que cet identifiant numérique soit unique.
Initialement, ce code devait être obtenu par le propriétaire du bâtiment ou le représentant du propriétaire dans le cadre des copropriétés. Donc le propriétaire – ou son représentant – avait la responsabilité de générer le code sur le site OPERAT, puis de le communiquer aux différentes parties prenantes (locataires, occupants, copropriétaires) pour que ceux-ci s’y réfère quand ils déclarent leurs consommations privatives.
Responsabilité partagée sur le processus global mais zizanie possible sur chacune des étapes.
Le processus informatique et organisationnel qui consiste à créer un code unique pour ensuite regrouper et centraliser les données en provenance de plusieurs acteurs est bien connu. Mais les dernières évolutions indiquent que la « responsabilité partagée » a été privilégiée et qu’actuellement tous les acteurs (propriétaire, syndic, copropriétaire, locataire, occupant, etc.) peuvent déclarer eux-mêmes les Entités Fonctionnelles Assujetties (EFA) comme bon leur semble, sans se concerter au préalable.
Ainsi en prenant le cas simple d’un immeuble de bureau avec 5 locataires : le bâtiment pourra être déclaré 6 fois et donc avoir 6 identifiants EFA différents – une fois par le propriétaire et 1 fois par chacun des locataires. Sans compter les changements de locataires qui pourront intervenir au cours des 30 années du projet OPERAT et qui multiplieront les possibilités de création de nouvelles références EFA.
Alors comment, avec de multiples clés d’identification, réconcilier les données pour obtenir la consommation globale d’un bâtiment ? La solution envisagée semble être l’adresse, ce qui peut être applicable pour un immeuble avec une seule entrée, notamment avec l’appui d’une intelligence artificielle qui saura réconcilier les différentes orthographes d’une même adresse. Mais comment imaginer qu’une réconciliation sera possible sur les bâtiments complexes qui ont plusieurs entrées : occupants, parking, postale, services techniques, etc.
Il est complexe de faire franchir une montagne à un bateau (c’est le pitch du film Fitzcarraldo). De la même manière, il est complexe d’exploiter une DATA sans gouvernance simple et compréhensible.