Edito Newsletter Institut FIDJI Déc 2022
A quand un capitalisme de surveillance immobilière ?
En 1989, le britannique Tim Berners-Lee a créé le World Wide Web dans le cadre de ses travaux au CERN (organisation européenne) pour que des chercheurs du monde en entier puissent échanger des informations de manière instantanée. Le fameux www, devient très vite l’interface – au niveau mondial – qui permet d’accéder à des ressources numériques partagées, échangées librement, favorisant la disponibilité et le partage du savoir. Cette communication des [informations/savoirs faire/savoirs être] aujourd’hui instantanée, accessible partout jusque dans les sociétés dictatoriales, a favorisé l’émergence d’une nouvelle économie numérique dont plus personne ne saurait se priver aujourd’hui. C’était une époque où les ingénieurs mettaient l’accent sur la confiance, la simplicité, la souveraineté de l’individu, la préservation de la confidentialité de l’expérience humaine et l’inviolabilité du domaine privé.
Mais l’idéal des premières plateformes numériques au service des êtres humains a disparu derrière l’usage massif d’une technologie intrinsèquement liberticide mis au service d’un capitalisme de surveillance, mixant l’appât du gain financier, la peur de l’autre en général et des individus dangereux en particulier, ainsi que la manipulation notamment des comportements, sous contrainte algorithmique. Sur ce sujet, la lecture du livre de Shoshana Zuboff, L’Age du capitalisme de surveillance, Zulma Essais 2020 est un véritable acte d’autodéfense numérique (Naomi Klein).
Or ce capitalisme de surveillance totalement inadapté pour les êtres humains (sauf pour le petit nombre qui en profite) est le saint graal des nouveaux héros de l’industrialisation numérique immobilière (Plateformes, PropTechs & ConTechs). Ils ne sont pas les seuls.
Les propriétaires investisseurs rêvent eux aussi de disposer d’une telle technologie sur leur parc immobilier – du moment qu’elle n’est pas la propriété d’un acteur privé qui la refacture exagérément et les prive d’une partie de l’optimisation de valeur des actifs immobiliers à la sortie du portefeuille.
De leur côté, les prestataires PM et FM s’équipent petit à petit de briques numériques sur certains cas d’usages, augmentant leur performance opérationnelle, en attendant eux aussi le graal cité précédemment. Mais la mise en œuvre de ces petites portions du périmètre fonctionnel est souvent tellement compliquée à cause du manque d’interopérabilité, que personne n’aperçoit le bout du tunnel.
Alors tout le monde parle de jumeau numérique du bâtiment – dont la finalité est une plateforme numérique de surveillance 24/7 des bâtiments, quels que soient les natures et les usages de ces derniers. Jumeaux numériques qui pourront manipuler les bâtiments pour les faire entrer dans le droit chemin d’une sobriété énergétique, entre autres.
Le capitalisme de surveillance immobilière (CVI), pour des actifs complexes mais indispensables aux êtres humains devrait donc émerger. Ce CVI pilotant des objets-actifs immobiliers, est-il désiré ? La grande majorité des propriétaires l’appelle de ses vœux ; leurs prestataires PM et FM également, pour une meilleur maitrise du cycle de vie complet des bâtiments. Pour autant, est-il souhaitable ? L’avenir le dira, en espérant qu’il ne cherche pas à manipuler les occupants à l’intérieur des bâtiments. Sauf que ça, c’est déjà en partie fait à l’extérieur.